03/02/2017

L'ART ET L'ENFANT

L’évolution de la place de l’enfant du XVIe siècle à nos jours


Nicole et Diana nous ont présenté ce thème à partir de l’exposition "L’Art et l’Enfant" au Musée Marmottan Monet en 2016 dont l’objectif était de retracer l’évolution du statut de l’enfant à travers ses représentations dans la peinture française du Moyen-âge au début du XXe siècle. 

Diana nous a présenté le cadre historique et social qui a accompagné cette évolution ainsi que quelques éléments du cadre légal. Nicole s’est appuyée sur ces considérations pour sélectionner quelques tableaux et les commenter.

Le statut de l’enfant a considérablement évolué depuis la Renaissance. L’évolution du statut de l’enfant depuis le XVIe siècle (et même avant, mais les témoignages ne sont pas aussi abondants) peut être considérée comme inscrite dans celle de l’individuation de la société occidentale, de pair avec la croissante diversification et reconnaissance des catégories sociales, de leur identification, du développement de leurs droits.

Avant le XVIe siècle
Jusqu’à la fin du Moyen-Age, prépondérance de la représentation de l’enfant-Dieu dans l’iconographie : les représentations de l’enfance sont celles du Christ ou de la vierge Marie. Les œuvres d’art sont plutôt des fresques, des sculptures, des livres d’heures « enluminures ».

André Beauneveu ou Jean De Liège (vers 1330-1400) : né à Valenciennes, il fut appelé à la cour de Charles V.

La présentation au temple André Beauneveu

XVIe et XVIIe siècles : "Le petit de l'homme"

Au XVIe siècle : La France vient de sortir des années de la peste noire. La Réforme protestante est à l'origine d'un processus d’individualisation en insistant sur la valeur de l’individu seul dans sa relation avec Dieu et l’interprétation des textes sacrés. C'est une période de grande instabilité sociale et politique. Il existe d'énormes inégalités en termes de rang, d’éducation et de richesse.

"enfant" vient du latin infantem : in (privatif, non) et fari (parler) : "celui qui ne parle pas". L'enfant est le « petit de l’homme » ; sa qualité d’enfant est niée à la faveur d’un regard qui le voit comme un adulte manqué. Juridiquement, il est inexistant, il n’existe pas comme une personne ayant ses besoins et possibilités propres ; il appartient à son père. Dans la société, en attendant qu’il devienne adulte, l’enfant occupe la portion congrue (aucun droit, qualifié de « sauvage », il faut le « dresser », déni d’affection…)


L’enfant est rarement représenté pour lui-même en famille dans les milieux princiers et aristocratiques. Vêtements adultes inadaptés, figure sans grâce. L’enfant disparait sous le manteau d’hermine. La figure de l’enfant-roi apparait ensuite. Ce sont des portraits de souverains enfants, avec les attributs du pouvoir. Dès le plus jeune âge, les portraits de Louis XIV s’inscrivent dans un cadre officiel et protocolaire. Héritier de droit divin, il incarne la continuité dynastique. 

 Portrait du futur roi Louis XIV – Anonyme – vers 1640



Louis XIII était orphelin timide et bègue. Le peintre l'a mué en prince intelligent et sûr de lui.
 
Frans Pourbus Le Jeune (1569-1622) : Flamand, l'un des plus grand portraitiste de l'époque ; venu à Paris à la demande de Marie de Médicis. 

Louis XIII en costume de deuil – Frans Fourbus Le Jeune – 1611
 
 

Au XVIIe siècle : Face au développement de la monarchie absolue, l’Eglise perd son autorité et son influence. La Réforme protestante suit ce mouvement de centralité de l’individu. L’enfant n’a pas de statut, mais ni la famille (telle qu’on la connaît aujourd’hui) ni les femmes n'en ont un. Les seuls qui en ont sont les religieux et la noblesse. La baisse de la population donne une plus grande valeur à la vie humaine ainsi qu’à la descendance et aux mères.

A une époque où sévit la mortalité infantile, ou l’espérance de vie demeure courte, l’enfant, avant d’être un individu, incarne l’espoir de perpétuer une lignée. Dans les familles pauvres, la crainte de mourir sans postérité est plus forte que l’inquiétude d’avoir à nourrir une bouche supplémentaire.


La pérennité familiale est au cœur des préoccupations de l’aristocratie. Les portraits de familles traduisent cette préoccupation dynastique. Dans ce tableau, trois générations sont représentées.

Philippe de Champaigne (1602-1674) : né à Anvers. Dès 1621 il part à Paris. Ami de Nicolas Poussin. Il décore, à la demande de Marie de Médicis, le Palais du Luxembourg. 

La Famille Habert de Montmor – Philippe de Champaigne

Le statut de l’enfant dans certains secteurs sociaux s’améliore et les chiffres de la mortalité infantile et des femmes à l’accouchement baissent. Il existe néanmoins une tension entre une attention plus affectueuse dont l’enfant est l’objet dans certains familles et l’exploitation de très jeunes enfants. Notre sensibilité s’émeut souvent de la rigueur des châtiments d’antan mais le contexte n’était tendre pour personne.

Portrait d'un enfant mort – Philippe de Champaigne
 
La fille naturelle de Louis XIV et de Madame de Montespan. La bulle de savon et la montre disent le caractère posthume du tableau – Vers 1681. 

Pierre Mignard (1612-1695) : né à Troyes. Ami de Nicolas Poussin, il a fait des portraits de Molière, Racine et Boileau.

Louise-Marie de Bourbon, duchesse d’Orléans – Pierre Mignard




A l’opposé, une suite de tableaux des frères Le Nain montre des enfants humbles, petits paysans dont les activités sont le prétexte à des scènes de genre plus pittoresques que réalistes.

Les jeunes musiciens  –  Antoine Le Nain – Vers 1640

XVIIIe siècle : Les nouveaux sentiments

Avec les Lumières, s’ouvre un âge nouveau. L’enfant est au centre de préoccupations politiques, morales et sociales. Cependant, conséquence du rôle social accru de la femme, les enfants sont éloignés de la famille, autant dans la haute aristocratie comme chez le petit peuple, et mis en nourrice – beaucoup ne survivront pas. Peu à peu la « mode de la mamelle » s’impose, et en Europe le taux de mortalité infantile baisse, les liens d’affection entre mère et enfant se développent. Les changements dans les mœurs correspondent à la modernisation de l’Etat, pour lequel la population devient un atout. Napoléon a besoin de grandes armées régulières.

A la fin du XVIIIe siècle, le statut de l’enfant évolue vers un début de reconnaissance législative par l’adoption de plusieurs lois spécifiques à l’égard des enfants dans divers domaines. L’enfant est alors perçu comme un être en devenir, à préserver pour le futur.
Un écorché grandeur nature représentant une femme enceinte avec fœtus visible (1740), œuvre spectaculaire qui illustre les progrès de la médecine à la fin du XVIIIe siècle et la volonté de lutter contre la mortalité infantile. 

Jacques- Fabien Gautier d’Agoty (vers 1716-1785) : né à Marseille. Le plus grand graveur sur cuivre. Il invente la quadrichromie en ajoutant le noir. Membre de l'Académie des sciences de Dijon, il s'associe avec le médecin et anatomiste Joseph-Guichard Duverney pour produire des albums de planches anatomiques.

IVe tableau représentant la femme enceinte – J-F Gautier d’Agoty

Sous l’impulsion rousseauiste, l’allaitement maternel se répand et les aristocrates se font portraiturer donnant le sein. C’est le "triomphe du sentiment familial" que symbolisent ces portraits où père et mère enlacent leurs enfants.

Jeune femme allaitant son enfant – 1777
Louis Roland Trinquesse
 
La famille de l'artiste  – 1802
Jacques-Augustin-Catherine Pajou



La leçon de géographie1806
Anne Louis Girodet-Trioson


Considéré comme un être à part entière, l’enfant est dorénavant un sujet de peinture. On le représente désormais seul, pour ce qu’il est. Jean Siméon Chardin le fait jouer au toton et Jean-Baptiste Greuze le montre rêveur...

 Au XIXe siècle : Les petites vedettes

L'industrialisation prend de l’élan. Le chômage sévit à la campagne, et cette population marginale est attirée dans les villes où le besoin de main-d’œuvre aspire hommes, femmes et enfants. Les inégalités sociales se creusent dans une réalité qui n’a pas encore trouvé ses marques et qui reste instable. Les enfants et les femmes sont surexploités et abusés, ils vivent dans une misère qui augmente la mortalité.

Le corpus juridique de l’époque est marqué par le mythe de la pureté de l’enfance. Or, dans le Code pénal napoléonien de 1810, l’enfance est envisagée uniquement sous le biais des infractions concernant l’Etat civil et le terme « enfant » désigne tout individu âgé de moins de 15 ans. 

Selon leur catégorie sociale, pour certains enfants, leur rôle au sein de la famille devient plus important. L’éducation fait l’objet d’une plus grande attention, même si psychologues et pédagogues pensaient encore que les enfants étaient naturellement pervers, et que la famille était incapable de donner une éducation correcte à l’enfant, qu’elle pouvait même entretenir ses plus mauvais penchants. La loi Guizot (1833) crée l’école publique dans chaque commune de France. C’est à l’école que revenait la fonction éducative : inculquer la discipline, l’obéissance et le respect. En 1881, l’instruction primaire devient obligatoire.

La loi de 1841 interdit le travail d’enfants de moins de 8 ans, et précise que les enfants de moins de 12 ans ne peuvent travailler qu’à la condition de fréquenter l’école. Plusieurs lois suivront, tendant chacune à leur tour de limiter puis supprimer le travail des enfants.

Grâce aux grandes découvertes de Pasteur,  les règles d’hygiène sont très efficaces dans le domaine médical de la petite enfance. Des groupes voient le jour (comme la Ligue contre la mortalité infantile en 1902) pour faire appliquer les grandes lois de protection de l’Enfance tout en faisant un effort de plus en plus soutenu dans le domaine de l’éducation des enfants.

La représentation de l’enfant gagne ses lettres de noblesse :
Jean-François Millet, fondateur de l'école de Barbizon, consacre aux soins des plus jeunes des peintures qui deviennent des icônes de la France rurale. 
 
Enfant au cerceau – 1841


La leçon de tricot – 1869

D’autres artistes témoignent de l’enfance urbaine et défavorisée. Philippe Auguste Jeanron héroïse l’enfant des barricades, un insurgé comme Gavroche. Alors que le naturaliste, Jules Bastien-Lepage dénonce le travail des enfants, leur prostitution et que Fernand Pelez intitule son petit marchand de violettes : Martyr, les impressionnistes se font les interprètes d’une enfance bourgeoise et préservée. Ils témoignent de l’émergence d’une certaine famille moderne.


Les petits patriotes – 1830
Philippe Auguste Jeanron



Le petit marchand de violettes – 1885
Fernand Pelez


Le premier bain – 1852
Honoré Daumier


Camille au jardin, avec Jean et sa bonne – 1873
Claude Monet
 
A la fin du XIXe siècle, la considération portée à l’enfant est devenue tout autre. Il s’agit désormais d’un futur adulte qui doit être protégé, d’un être humain qui se trouve dans une phase d’évolution graduelle, d’une personne ayant ses caractéristiques et ses besoins propres.

XXe siècle : Peindre comme un enfant
 
Les grandes lois du XXe siècle reflètent une autre vision de l’enfance qui réitère la qualité de pureté comme spécificité absolue de cette période de vie. Mais c'est aussi la création d’un système pénal spécifique à l’enfant. La loi de 1912 crée les tribunaux pour enfants et adolescents. Les mineurs de moins de 13 ans deviennent pénalement irresponsables de leurs actes ; la sanction pénale devient impossible avant l’âge de treize ans.

Le ballon ou Coin de parc avec enfant – 1899
Félix Valloton
 


La boxe – 1918
Maurice Denis

La seconde moitié du XXe siècle voit une nouvelle grande phase marquée par :
– La reconnaissance de la spécificité de l’enfant, qui se matérialise avec la déclaration universelle des droits de l’enfant de 1959. Son préambule affirme « la nécessité d’une protection spéciale et notamment d’une protection juridique appropriée ».
– La reconnaissance de l’enfant comme véritable sujet de droit. Néanmoins l’enfant reste perçu comme « un être passif, un simple objet de droits ».
– Il faut attendre la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) en 1989 pour que l’enfant soit désormais pensé en sujet de droit. Il ne s’agit donc plus de décrire les règles juridiques applicables aux enfants, mais de proclamer que les enfants ont des droits qui doivent être reconnus par les États. 

Certains artistes arrivent à considérer les enfants comme des pairs et exposent leurs œuvres (sous anonymat et sans titre). 



En 1945, commentant une exposition de dessins d’enfants, Pablo Picasso résume – non sans provocation – les enjeux de sa démarche. « Quand j’avais leur âge, je dessinais comme Raphaël, mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme eux. »  
Le Peintre et l’enfant, de 1969, reste fidèle à cette idée.


Après 1950, Jean Dubuffet fonde la "Compagnie de l'art brut". Il adore l'art des fous et celui des enfants. Il revendique même un infantilisme délibéré. Si ce dessin de 1975, Lieu plurifocal, évoque immédiatement un dessin d'enfant, sa composition est très étudiée, c'est un déséquilibre construit.


Conclusion 

L’exposition a permis de donner un coup de projecteur sur un sujet, l’enfant et plus que ça, l’enfance. Aussi a-t-on vu, à partir des différents tableaux, l’évolution de ce sujet dans l’histoire, la société, les mœurs, le cadre légal… La discussion qui s'en est suivi permet de dire que, plus qu’un phénomène biologique, l’enfance serait donc une construction socioculturelle qui évolue historiquement, qui varie d’une société à une autre et qui concerne les premières années de vie humaine.   



Sources :
Livre et dossier de presse de l'exposition – Wikipédia