06/12/2014

Exposition BENJAMIN-CONSTANT

Musée des Augustins
 
« Merveilles et mirages de l'orientalisme
Jean-Joseph Benjamin-Constant »

 « Jean-Joseph Benjamin-Constant dit Benjamin-Constant, né le 10 juin 1845 à Paris où il est mort le 26 mai 1902, est un peintre orientaliste et graveur français. Il fut l'un des portraitistes favoris de la haute société britannique à la fin du XIXe siècle. » 

C’est par cette phrase lapidaire que Wikipédia résume la biographie de Benjamin-Constant. Il mérite mieux que ça et notre charmante guide a su nous en convaincre. 


Le Musée des Augustins, à Toulouse, la ville de son enfance (orphelin de mère à 2 ans, il y a été élevé par ses tantes), consacre la première rétrospective à ce peintre oublié, presque disparu (parmi les soixante-dix pièces accrochées, certaines toiles ont été retrouvées roulées dans des réserves... )

Au service de la cause coloniale et peintre « officiel », son art d'ultra coloriste est parfois un peu plus éloigné de la réalité que ne peut l’être la palette de Delacroix. 


Judith

Il n’en reste pas moins un véritable artiste capable d’émouvoir et de reproduire avec une puissance fantasmatique, l'attirail décoratif fait de minutieux détails architecturaux et mobiliers, des sourates magnifiquement ciselés dans le bois ou des riches jeux de matière (broderies, dorures, tissus, parures et bijoux). 

Benjamin-Constant excelle aussi dans les éclairages et certaines de ses toiles évoquent Rembrandt. Il est également capable d’une peinture tellement fine que la trame de la toile se confond avec la chemise du modèle. 



Les grands, voire très grands, formats (achetés par l’Etat) nous invitent à entrer sans nous déchausser dans des intérieurs privés. Ou à investir des horizons comme autant de territoires vierges, fertiles, sauvages donc bons à civiliser. 

Les têtes coupées des Derniers rebelles, dont les corps gisent au pied des remparts de Marrakech, pendent en trophées aux flancs d'un dromadaire.

Les Prisonniers marocains, avec un gisant inspiré du Christ mort d'Holbein, endurent des supplices significativement cruels. Voici autant d’éléments qui justifient la « civilisation » contre la « barbarie ».
Entrée du sultan Mehmet II
à Constantinople 
le 29 mai 1453
   
Le Roi du Maroc allant recevoir
officiellement un ambassadeur
européen vers 1885
 
  
 
Quarante ans après Delacroix (entre 1870 et 1873), Benjamin-Constant fera trois séjours au Maroc, mais c’est en réalité dans son atelier aux Batignolles, rempli de tapis et d’objets exotiques, qu’il s’inspire des sociétés autochtones et triture leur histoire (Huysmans le baptisera « l’Orientaliste des Batignolles »).

Il y installe par exemple des janissaires, guerriers ottomans n'ayant jamais poussé une babouche à l'intérieur du royaume chérifien.

Le somptueux Caïd Tahamy (fonds du musée de Narbonne) est coiffé d'un turban improbable et vêtu d'une djellaba rose pour le seul plaisir de l'œil.











Ailleurs des houris or et ébène essaient de faire avaler une orange au flamand rose - l'exotisme n'étant pas à une incongruité près.

 
Benjamin-Constant était très introduit dans les cercles mondains de la IIIe République, grâce à son mariage avec la fille du ministre Emmanuel Arago ; l’état lui a donc confié des hommages pompeux (à Beethoven, à Saint-Saëns). 
Il se révèle bon praticien des techniques des maîtres anciens (portrait raphaélesque de Mes deux fils, tête de Maure à la Rubens…) et enfin c'est un décorateur prolifique. 
 
Paris lui doit la coupole de l'Opéra Comique, des fresques à la Sorbonne, à l'Hôtel de Ville, au restaurant du Musée d'Orsay.
Hôtel de ville de Paris
La ville de Paris conviant le monde



Quant à Toulouse, elle s'honore de sa gigantesque « Entrée d'Urbain II » marouflée au fond de la salle des Illustres du Capitole (il ne manque d’ailleurs pas d’audace le bougre en offrant à Toulouse le tableau d’un pape entrant dans un fief radical socialiste).

La vérité de l'artiste se lit plus volontiers dans ses portraits mondains ; celui d'Emma Calvé diva du bel canto représentée en Carmen (1898, Nice qui inspira la Castafiore d'Hergé), le pape Léon XIII ou encore Le duc d'Aumale.

Auto-portrait
Il finit sa vie comme portraitiste en Amérique du Nord et en Angleterre. Si bien qu’à sa mort en 1902, le New York Times lui consacre un article élogieux.
La Reine Victoria

Il reflète, au fond, le conformisme et les gouts de la bourgeoisie de son époque; il est passé à côté des mouvements picturaux qui ont marqué et transformé la peinture

Ardent défenseur du Salon officiel des artistes, il aurait déclaré : « Le Salon est notre seul moyen d'édition, par lui nous acquérons l'honneur, la gloire, l'argent. C'est le gagne-pain de beaucoup d'entre nous », ce qui lui vaudra d’être renvoyé ensuite dans les oubliettes de l’histoire…
Il se verra refuser la médaille d'or un grand nombre de fois... pour finalement l'obtenir tardivement, en 1895 pour Portrait de mon fils André.
Mais ne boudons pas notre plaisir, nous avons ainsi pu rêver d'ailleurs devant des décors byzantin, des cascades de terrasses tangéroises, de magnifiques paysages du Maghreb ou des vues de l'intérieur d'un souk. 

Le harem
Le soir sur les terrasses

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05/12/2014

Soirée sur L'ORIENTALISME

L'orientalisme, terme inventé au début du XIXe siècle pour désigner la fascination de l'Orient exercée sur l’Occident, s'est exprimé dans un courant littéraire et artistique dont Emma et Monique nous ont détaillé les différentes facettes et qui depuis n’a plus de secret pour « Les Livres et les Idées »…

L'intérêt des artistes occidentaux pour l'Orient prend ses racines dans notre culture dès le XVII siècle : en témoigne l'attrait pour les « Mille et Une Nuits », œuvre littéraire majeure qui nourrit depuis 1704  un  vaste imaginaire oriental….
Les Mille et Une Nuits,
Sanî’-ol-Molk, 1849-1856
  • Des récits de voyageurs en Turquie, en Perse ou « aux Indes » (Tavernier, Chardin) sont venus offrir de nouveaux horizons et rompre avec une tradition classique.
  • Voltaire (« Zadig » et « Candide ») et Montesquieu (« Lettres Persanes ») ont ainsi apporte une touche orientale à leurs contes philosophiques.


Au XIXème siècle, l'Orient devient une question centrale dans la politique des grandes puissances européennes dans le contexte du lent effondrement de l’Empire ottoman et dans le désir grandissant de conquêtes de nouveaux territoires. 

Ruines du temple d’Hermopolis
Vivan Denon
Sous l'impulsion de Bonaparte qui s'entoure d’artistes et de savants, la campagne d'Egypte dépasse le cadre d’une simple aventure militaire, mais devient une véritable expédition culturelle et scientifique. La découverte de civilisations jusque-là inconnues est l'un des facteurs historiques majeur de l'essor de l'orientalisme. Au Maghreb, l'expédition française en Algérie, en 1830, décidée par Charles X entraîne un intérêt considérable pour des œuvres ayant pour thèmes des scènes empruntées à la culture orientale.


Par ailleurs, en littérature, l'orientalisme doit son essor à l'esthétique romantique (nostalgie des civilisations disparues, rêve d’exotisme, de voyages et de dépaysement), qui glorifie un Orient associé au pourtour méditerranéen et le plus  souvent fantasmé.
Chateaubriand, en 1811, est parmi l'un des précurseurs avec son « Itinéraire de Paris à Jérusalem ». On peut également citer : 
  • Georges Gordon Byron : « Pèlerinage de Childe Harold » (1812) / « La fiancée d'Abydos » et « Le Giaour » (1813) / « Le corsaire » et « Lara » (1814)
Byron en tenue albanaise
  • Victor Hugo : « Les Orientales » (1829)
  • Alfred de Musset : « Namouna » (1832) 
  • Gustave Flaubert, Maxime du Camp : « Egypte, Nubie, Palestine et Syrie. Dessins photographiques » (1849 à 1851)
  • Théophile Gautier : « Voyages en Espagne (1840), en Algérie (1845), à Constantinople (1852), en Egypte (1869) » / « Emaux et camées » (1852) / « Le roman de la momie » (1857)
  • Gustave Flaubert : « Salambô » (1862)
  • Sans oublier Lamartine et Gerard de Nerval  et plus tard Pierre Loti : « Aziyadé » (1879) / « Les désenchantées » (1906)


Plus que dans la littérature, cependant, c'est dans la peinture que l’orientalisme connaît son heure de gloire. L’amélioration des moyens de transport permet à de nombreux peintres de se rendre eux-mêmes en Orient. A l'instar des écrivains, ils entreprennent de voyager en Orient, afin d'en ramener des scènes et des images (bien souvent fantasmées) propices à la création artistique. 


Delacroix, déjà auréolé de gloire, accompagne Charles de Mornay pour une mission diplomatique au Maroc. Il revient en France avec une infinité de croquis et d'esquisses qui lui inspireront ses tableaux les plus célèbres, tous remarquables par les couleurs et par son  travail sur les jeux d’ombre et de lumière… Il devient en France le maître de l'orientalisme.


Ce courant pictural est illustré par les tableaux célèbres de Delacroix ainsi que ceux  de nombreux peintres dits orientalistes qui rompent ainsi avec la tradition académique qui jusque-là triomphait dans les salon. Quelques exemples :

Combat du Giaour d'Hassan 
Delacroix - 1826

                    
Femmes d'Alger dans leurs appartements
Delacroix - 1834
Moulay abd-er-Rahman, sultan du
Maroc, sortant de son palais 
de Meknès - Delacroix - 1845
    
                         
Noces juives au Maroc
Delacroix - 1839
La Grande Odalisque - Ingres - 1814
                       
    
Le bain turc - Ingres - 1862
Ali benHamet
Chassériau - 1845

                                  
Une rue à El-Aghouat
Fromentin - 1859


La bataille d’Isly - Vernet - 1844
Prise de la smala d’Abdel Kader par les troupes du duc d’Aumale en 1843 - Vernet

Le Jour des funérailles
Benjamin-Constant - 1889
Et naturellement Benjamin-Constant que nous allons découvrir au musée des Augustin.
Au tournant du siècle, parallèlement à l'apparition de la photographie, les peintres cherchent une vision plus réaliste de l’Orient, et s’attachent à de nouveaux sujets comme les paysages orientaux, jusque-là peu représentés. 
Au-delà de ce courant pictural qui s'épanouit au XIXème siècle, l'esthétique orientaliste a influencé de nombreux artistes du XXème siècle dont Picasso (peu de temps après le déclenchement de la révolution algérienne il revisite Delacroix et ses « Femmes dans leurs appartements » et en tire quinze toiles et deux lithographies qu'il intitule « Femmes d'Alger »).

Le courant orientaliste s’exprimera aussi, mais plus tardivement, dans la sculpture :

Odalisque
James Pradier - 1841
Musée des Beaux-Arts - Lyon
Lion au serpent - (1832-35)
Louis-Antoine Bayrye
Musée du Louvre
Arabe d’el Aghouat
C-H-J Cordier - 1857 
Musée d’Orsay







Les Arts décoratifs n'ont pas échappé non plus à ce courant.
Vase dit de l'Alhambra
  • Collinot et de Beaumont : « Recueil de dessins pour l’art et l’industrie » (1859)
  • Théodore Deck expose ses faïences islamiques : Exposition des produits de l'Industrie - Paris 1861
  • Pavillon de la Perse - Exposition universelle (1878)
L'orientalisme a également inspiré l'Art nouveau en la personne de Jacques Majorelle le peintre de l'atlas marocain (fils de louis Majorelle cofondateur de l'école de Nancy avec Emile Gallé).


L’orientalisme a marqué également l'architecture :
Casino Mauresque d’Arcachon
  • Dominique Vivant Denon : « Voyage dans la Basse et Haute Egypte » (1802)
  • Charles-Louis Balzac : « Description de l'Egypte » (1809-1822)
  • Pascal Coste séjourne 10 ans « Architecture arabe », « Monuments du Kaire » (1839), « Monuments de la Perse » (1867)
  • Maisons particulières : Alexandre Dumas, Pierre Loti
  • Casino Mauresque d’Arcachon (1863) - hélas disparu depuis et dont il ne reste qu’une maquette et de magnifiques photos...
  • Poste d’Alger (1906)

Et d’autres domaines artistiques :
  • Photographes : John B. Greene, Auguste Salzmann, Gustave de Beaucorps, Félix Bonfils…
  • Cinéma : Série des cheiks (avec R. Valentino) / « Les Dix commandements » de Cecil B DeMille
  • Musique « Aïda » (1871) de Verdi / « Samson et Dalila » (1876) de Camille Saint-Saens
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